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1942 : le Camp de Brastagi

  • Photo du rédacteur: Rose
    Rose
  • 19 août 2023
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 août 2023

Rose: "On est rentré dans les camps en mars ou avril 1942 – j’avais 7 ans, et on en est sorti fin 1945, j’avais donc presque 11 ans."


Sumatra est tombée le 28 mars 1942 lorsque le major général hollandais R. T. Overakker avec 2 000 soldats s'est rendu près de la ville de Kutatjane au nord de Sumatra. De nombreux prisonniers alliés ont été forcés par les Japonais à construire une ligne de chemin de fer entre Pekanbaru et Moera.


"Le premier camp où nous sommes allés se trouvait dans les montagnes, à Brastagi sur l'île de Sumatra où nous vivions. Cette région était connue pour son air sain. Comme elle est en altitude, il n'y fait jamais trop chaud. Les entreprises de caoutchouc et de tabac installées dans la région avaient construit de petits bungalows pour les familles de leurs employés.


Pendant les périodes de grande chaleur, mon père nous envoyait là-haut pour deux semaines de vacances au frais. En mars 1942, nous étions donc en vacances avec beaucoup d'autres familles lorsque les Japonais sont arrivés. Ils nous ont fait comprendre qu'ils avaient pris le contrôle du pays et nous ont donné 24 heures pour faire nos bagages avant d'aller dans les camps. Nous avions droit à une valise par famille.




Les Japonais ont d'abord interné toutes les femmes et tous les enfants sur place, dans une école. Après quelques jours, ils envoyèrent les garçons de plus de 10 ans dans les camps pour hommes, qui étaient en fait des camps de prisonniers. C'était bien sûr terrible pour les plus jeunes d'entre eux et pour leurs mères. Mais au moins, dans les camps de prisonniers, les Japonais étaient obligés de respecter les conventions internationales sur les prisonniers de guerre ce qui fait qu'au final, les hommes ont été un peu mieux traités que nous. Comme mon frère James n'avait que trois ans à l'époque, il resta avec Nana, Anita et moi.


Au tout début des camps, nous possédions encore quelques affaires à nous. Par exemple, Nana avait ramené un gros morceau de savon de Marseille, si gros qu'il a duré la majeure partie des trois ans et demi que nous avons passés dans les camps. À l'époque, c'était du vrai savon de Marseille, rien à voir avec le savon que l'on achète aujourd'hui, qui est si doux que l'on peut se laver tous les jours avec. C'était un produit formidablement efficace. Comme nous marchions pieds nus dans le camp et que nous nous blessions souvent avec nos petits pieds délicats - surtout dans les premiers temps - Nana utilisait son bloc de savon pour désinfecter nos blessures. Elle en mettait un peu sur la plaie, l'entourait d'un bandage et le savon absorbait tout le pus.


Nous étions logés dans une école. Les Japonais avaient construit des baraquements en bois à deux étages à l'intérieur des salles de classe, avec un petit escalier pour monter. Il y avait beaucoup de matelas sur le sol et tous les enfants dormaient ensemble. Je me souviens avoir dormi à l'étage, et un jour, comme j'étais somnambule, je suis tombée dans mon sommeil sans m'en rendre compte, parce qu'il n'y avait pas de rampe. Je ne me suis pas fait mal parce que le sol n'était pas très haut et que j'étais encore "souple", comme tous les enfants...




Un jour, Nana et quelques autres femmes repèrent un trou dans le sol sous la clôture en bois qui entoure le camp. Une nuit, elles décidèrent d'utiliser ce petit tunnel pour se faufiler hors du camp et aller chercher de la nourriture dans le village indonésien voisin.


Je dois aussi expliquer qu'avant le débarquement des Japonais, toutes ces femmes avaient l'habitude de sortir beaucoup, même pendant les vacances. Elles avaient apporté avec elles à Brastagi leurs belles robes en lamé avec des décolletés incroyables, des bijoux magnifiques, etc.



Lorsque les Japonais ont débarqué et donné l'ordre de plier bagage, Nana - comme beaucoup de femmes - décida d'emporter quelques robes et bijoux, qu'elle utiliserait plus tard comme moyen de paiement. C’est ce qu'elle fit ce soir-là : elle échangea une de ses robes contre un peu de nourriture qu'elle ramena au camp. Nana et ses acolytes firent encore deux ou trois sorties nocturnes, jusqu'au jour où elles furent malheureusement interceptées par les Japonais.


Lorsque nous nous sommes réveillés le lendemain, nous ne savions pas ce qui s'était passé. Nous sortîmes du lit comme d'habitude pour rejoindre nos mères, mais elles n'étaient plus là. C'est alors que nous avons entendu les Japonais crier dans un haut-parleur pour informer tout le camp que plusieurs femmes avaient été arrêtées et mises en prison. Pendant la nuit, ils avaient construit à la hâte une sorte de cage en bambou au milieu de la cour, afin que les prisonnières soient exposées à la vue de tous. Nos pauvres mères y restèrent entassées, sans confort ni nourriture, pendant plusieurs jours.


Il n'y avait qu'une seule cuisine pour tout le camp, et c’était les femmes prisonnières qui faisaient la cuisine dans de grandes marmites. Au début, les Japonais donnaient ce qu'ils avaient. Il y avait du riz, quelques légumes et parfois un peu de poulet ou de bœuf. Bien sûr, les quantités ont diminué au fur et à mesure que la guerre avançait. Même les Japonais n'avaient plus grand-chose à manger à la fin, car la population indonésienne ne leur était pas favorable non plus.


Du coup, les femmes du camp cultivaient de petits jardins maraîchers et essayaient de faire pousser des légumes et des fruits un peu "caloriques" pour compenser le manque de nourriture. Il s'agissait notamment de patates douces, connues sous le nom indonésien d'"Ubi".



Tout au long de son séjour en prison, Anita et moi allions tous les jours cueillir des "Ubis" dans le petit jardin maraîcher et les donnions à Nana. Je ne sais pas comment elle les a mangé, car elle n'avait pas de cuisine dans cette cage de bambou... mais elle n'avait rien d'autre à se mettre sous la dent. Au final, je crois qu'elle est restée emprisonnée avec les autres femmes pendant une semaine.


Cela ne l'a pas empêchée de prendre d'autres risques par la suite. Nana était très débrouillarde, « ressourceful » comme on dit. Par exemple : au bout d'un certain temps, nos chaussures et nos vêtements étaient très usés. Dans l'école où nous étions, il y avait une salle de sport. Et dans cette salle, il y avait des tapis, des anneaux, des espaliers et un cheval de sport en cuir.


Un jour, Nana et les autres femmes sont entrées dans le gymnase et ont commencé à démonter les équipements les uns après les autres. Elles ont récupéré tout ce qu'elles pouvaient : les tissus, les clous, le bois, le cuir, etc.

Dans notre camp, il y avait aussi des religieuses qui étaient très douées pour les travaux pratiques. Ce sont elles qui ont appris à Nana et à toutes les autres dames du camp (qui n'étaient pas très débrouillardes au départ) à coudre, à bricoler, mais aussi à soigner les blessures.


Avec tout ce qu'elles avaient récupéré dans le gymnase, les femmes du camp ont pu fabriquer tout un tas de choses pratiques pour la vie de tous les jours.

Par exemple : avec un morceau de bois, une petite lanière de cuir (prélevée sur le cheval de sport) et quelques clous ramassés à droite et à gauche, elles ont fabriqué des sandales appelées "Tekleks" en indonésien.



Nos mères tenaient beaucoup à ce que nous portions ces Tekleks, car une rumeur circulait à l'époque selon laquelle ces sandales pouvaient littéralement nous sauver la vie. Non loin du camp, il y avait un village de Bataks (que nous appelions "Batakers"), un peuple majoritairement chrétien, mais qui était à l'époque très hostile aux colonisateurs que nous étions.



Trois guerriers Batak armés de sabres et de lances, devant une construction en bois.


Une rumeur circulait selon laquelle les Bataks se faufilaient dans notre camp la nuit et plantaient de petites pointes imbibées de poison sur le sol de la cour, dans le but d'empoisonner mortellement le plus grand nombre d'entre nous. Un peu comme des mines antipersonnel. Naturellement, les femmes du camp étaient très inquiètes, c'est pourquoi il était si important pour elles que nous portions tous des chaussures lorsque nous nous déplacions dans le camp..."


(À suivre)...


Ma mère, Kathleen Voûte née Piprell, dans une jolie robe du soir

Rose & Babi

©2023 Hind Dahbi-Flohr

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