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1895-1912 : Un mariage à Fès et le protectorat

Babi : "Depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, le Maroc était gouverné par la dynastie alaouite, originaire du Tafilalet. Jusqu'au début du siècle dernier, il arrivait de temps en temps que certaines tribus puissantes, un peu éloignées de Fès, se rebellent contre le pouvoir.


Pour se protéger contre ces rebelles, le sultan faisait souvent appel à ses compatriotes du Tafilalet. Il envoyait une lettre à son représentant local pour lui demander d'envoyer 100 ou 200 jeunes gens à la capitale pour renforcer son armée et la garde du palais. A l'époque, pour un jeune Filali, venir à Fès pour travailler à la cour du sultan était une promotion et un grand honneur.



Une telle situation se produisit vers 1895. Au village, on fit un tirage au sort et mon grand-père, qui devait avoir à peine 16 ou 17 ans, fut sélectionné pour aller travailler à Fès à la cour du sultan, avec tout un contingent de cousins et de jeunes du village. Il en était ravi. Mais sa famille était inquiète à l'idée de le laisser partir seul et avait décidé qu'il fallait absolument qu'il se marie. On chercha donc parmi les cousins des deux côtés de la famille et on trouva celle qui allait devenir ma grand-mère.


Fès, danse à un mariage


En 1895, mon grand-père et ma grand-mère, deux étrangers l'un à l'autre, se marièrent donc à Fès. Toute la famille de mon grand-père était venue dans la capitale pour célébrer les noces et avait acheté le terrain adossé au rempart du palais. Le jeune couple eut bientôt trois enfants : d'abord un fils - mon père - puis deux filles.


La vie continua tranquillement jusqu'en avril 1912, date à laquelle deux événements se produisirent, qui, quoique sans rapport l'un avec l'autre, bouleversèrent tous deux le destin de ma famille. Le premier fut la signature de l'acte de protectorat avec la France. Le second fut la mort subite de mon grand-père, âgé d'à peine 30 ans, probablement à la suite d'une crise cardiaque. Il est décédé en l'espace de 24 heures.


Presque immédiatement, le sultan qui avait signé l'acte de protectorat fut rejeté par la population locale et déposé, et il y eut ce qu'on appelait alors pudiquement des "troubles". Les Français, qui occupaient l'Algérie depuis 1835 et étaient donc des colonisateurs chevronnés, avaient mis au point un plan de conquête du pays.


Ils s'emparent d'abord de tout le littoral marocain, qui constituait pour eux la partie la plus intéressante du pays en raison des gisements de phosphate et autres ressources précieuses qui s'y trouvaient. Ils assiègent ensuite les régions "difficiles", notamment le Tafilalet, une région montagneuse peuplée de tribus indépendantes et rebelles. Ce siège a duré longtemps, à tel point que si la colonisation a commencé au Maroc en 1912, elle n'a réellement débuté dans le Tafilalet qu'en 1935. Il faut dire qu'entre-temps, la guerre de 14-18 a beaucoup occupé les Français et a ralenti leurs efforts de colonisation.


Et voilà ma grand-mère en 1912, encore toute jeune, veuve, avec trois enfants en bas âges, livrée à elle-même dans sa maison de Fès, ne pouvant rejoindre sa famille qui était assiégée dans le Tafilalet. Elle vécut les premières années du protectorat dans une grande pauvreté, mais parvint à élever ses trois enfants, car c'était une femme très dure et forte mentalement.


La situation s’améliora un peu lorsque mon père atteigna l’âge de 16 ans. Il entra alors à l'hôpital de Fès, d'abord comme petit apprenti, puis comme infirmier diplômé, jusqu'à ce qu'en 1924, il passe son permis de conduire et devienne ambulancier. A l'époque, il n'y avait pas plus de 15 voitures dans toute la ville de Fès. Avoir le permis de conduire était donc quelque chose d'exceptionnel, comme être astronaute aujourd'hui !"


Mon père, Jelila Dahbi, à droite sur la photo, dans son uniforme d'infirmier

Rose & Babi

©2023 Hind Dahbi-Flohr

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